On dit de notre travail qu’il est notre gagne-pain, mais aussi qu’il sert à gagner notre steak. Puisqu’il faut manger pour vivre, il n’est pas étonnant que le mot viande soit dérivé du mot vie. Du XIe au XVIIe siècles, le mot viande (du latin vivenda : qui entretient la vie) désignait toute nourriture ou tout aliment comestible. Le terme chair faisait alors référence à ce que nous appelons viande aujourd’hui.
La viande au coeur du repas
Encore de nos jours, le plat de viande définit souvent le repas. Dans un petit livre révolutionnaire paru en 1971 et intitulé Sans viande et sans regrets, l’auteure américaine Frances Moore Lappé faisait remarquer à quel point la viande était au centre de nos repas et les légumes, réduits à un rôle d’accompagnement. Quand on demande à sa mère :
- « Qu’est-ce qu’on mange pour souper? »
- « Du rôti de porc… du steak… du poulet… du pain de viande! »
Pour un grand nombre de consommateurs, impossible d’imaginer un repas sans viande, surtout chez nos voisins du sud (c’est aussi vrai au Canada) où le steak, chaque jour de la semaine, fait partie de l’American Dream. Mme Moore Lappé soulignait l’augmentation fulgurante de la consommation de bœuf aux États-Unis à partir des années 1950. Elle exposait le problème du gaspillage de la trop grande quantité de protéines consommées par rapport à nos besoins et prônait une meilleure utilisation des ressources. Au terme d’une longue réflexion, elle posait la question : peut-on, sans mettre en péril notre santé, consommer davantage de plantes et moins de viande? Elle suggérait d’y aller progressivement en remplaçant un repas par semaine par un repas sans viande. Le début d’une révolution alimentaire au pays de l’oncle Sam.
Un repas sans viande?
Cette idée ne date pas d’hier. Jusqu'au milieu des années 1960, l'Église catholique défendait aux fidèles de manger de la viande le vendredi, jour de la mort de Jésus. S’abstenir de manger de la viande était aussi une affaire de riches et de pauvres, les riches ayant les moyens et le temps de chasser. Lors des jours maigres, les viandes et les relations sexuelles étaient interdites à cause de l’ambiguïté du mot « chair », au contraire des jours gras. Le poisson, parce qu’il provenait de l’eau froide, était réputé maigre et donc permis (même s’il n’était pas toujours frais et souvent beaucoup trop cuit).
Durant la Première Guerre mondiale, le US Food and Drug Administration recommandait aux familles de réduire leur consommation de certains aliments – comme la viande et le blé – dans un effort de guerre en créant les Meatless Monday et Wheatless Wednesday.
Plus récemment en 2003, l’initiative des Meatless Monday – ou Lundis sans viande – a refait surface en s’associant à la très crédible école de santé publique de l’Université Johns Hopkins. Le but? Sensibiliser la population à l’importance de diminuer sa consommation de gras saturés pour prévenir plusieurs problèmes de santé. Mais un nouveau discours se greffe à celui de la santé, car la production de viande de bœuf ou de porc nécessite beaucoup d’énergie, d’antibiotiques et d’eau : jusqu’à 70 000 litres d’eau par kilo de viande produite. Six kilos de moulée sont requis pour un engraissement d’un kilo chez les bovins. Autant de considérations touchant l’environnement et l’aspect éthique qui s’ajoutent à cette vaste campagne.
Des appuis nombreux, partout!
À travers le monde, plusieurs organismes et personnalités ont donné leur appui aux Lundis sans viande. Militant soucieux de l’environnement et des dangers liés au réchauffement climatique, l’ancien vice-président américain et Prix Nobel de la paix Al Gore a déclaré que, sans être végétarien, il avait réduit significativement sa consommation de viande. Même le chef Mario Batali, un carnivore invétéré, s’est rallié à la cause. Chaque lundi, ses 14 restaurants établis à New York, à Los Angeles et à Las Vegas offrent deux choix de plats principaux sans viande, portant le logo MM (Meatless Monday).
En Angleterre, en 2009, l’ex-Beatle Sir Paul McCartney, végétarien de plus de 30 ans, de même que Sheryl Crow et les musiciens de Coldplay se sont ralliés au mouvement Meat Free Mondays dans le but de contribuer à ralentir les changements climatiques. Au populaire Hard Rock Café de Londres de même qu’à la très réputée Université Oxford, on sert désormais des repas sans viande en début de semaine. D’ailleurs chaque lundi, Yoko Ono envoie un message aux 700 000 personnes qui la suivent sur Twitter : oublier la viande une journée, éventuellement deux, voilà une idée très, très brillante, leur dit-elle.
En Afrique du Sud, la ville de Cape Town a été la première à appuyer le mouvement par son comité de santé publique. Celle de San Francisco en Californie encourage ses écoles, ses restaurants et ses épiceries à offrir des repas à base de végétaux. En Allemagne, au siège social de la compagnie Puma, les lundis sont sans viande. À l’Université de Tel-Aviv, en Israël, et dans des dizaines d’autres institutions aussi.
Au Québec, le mouvement Lundi sans viande a été lancé au printemps 2010. Plusieurs organismes, comme Équiterre et la Fondation David Suzuki, ainsi que des personnalités, dont Jacques Languirand, Frédéric Back et Laure Waridel, ont affiché leur appui publiquement. Lors d’une discussion avec des collègues nutritionnistes influentes en santé publique, certaines apportaient toutefois un bémol à l’aspect marketing de ce mouvement. Pourquoi mettre en marché une approche négative (le sans-viande) axée sur la privation d’un aliment ou d’un groupe d’aliment (c’est-à-dire la viande, la volaille, les produits marins, mais aussi le fromage et les produits laitiers pour plusieurs activistes puisqu’ils proviennent d’élevage) alors que ce que l’on souhaite réellement, c’est amener les consommateurs à manger davantage de légumineuses, de grains entiers, de fruits et de légumes? Autant d’aliments formidables, variés et savoureux qui devraient se retrouver plus souvent dans nos assiettes dans une approche positive. Un débat intéressant!
Reste que cette campagne incitant à ne pas manger de viande le lundi n’est pas une obligation, mais bien une invitation à prendre conscience de l’impact de nos choix alimentaires sur la planète et sur notre propre santé. En commençant dès maintenant à adopter de meilleures habitudes.
Dans votre magazine Ricardo, chaque numéro comporte plusieurs recettes qui font honneur aux végétaux en tenant compte des saisons. Et depuis le printemps, une recette spécialement créée et portant la marque « Lundi sans viande » a été ajoutée pour vous faciliter la tâche lorsque vous manquez d’inspiration
Trop de viande rouge: les risques pour la santé
Le terme viande rouge fait référence au bœuf, à l’agneau, au foie, au porc (parfois classé comme viande blanche), aux saucisses et aux charcuteries à base de ces viandes. Qu’on le veuille ou non, la consommation élevée de viandes rouges comporte des risques importants pour la santé : 30 % plus de risques de décès chez les gros mangeurs de viande rouge, 20 % plus de risques chez les grands consommateurs de saucisses fumées, bacon et autres viandes transformées. Ces données fracassantes, publiées l’an dernier par des chercheurs du National Cancer Institute, proviennent d’une étude d’envergure réalisée auprès de 500 000 Américains âgés de 50 à 71 ans, suivis pendant 10 ans. Des liens solides relient désormais viande rouge, maladies cardiovasculaires et plusieurs cancers, dont le cancer colorectal.
Les mythes des protéines incomplètes
La théorie selon laquelle on doit combiner certains végétaux à chaque repas (ex. légumineuses + produit céréalier) pour obtenir des protéines complètes est désuète depuis longtemps. Mais elle persiste, même parmi certains professionnels de la santé… Pour combler nos besoins en protéines, la règle à suivre est beaucoup plus simple : il suffit de manger différents aliments végétaux au cours de la journée, et non à chaque repas : soya et légumineuses, noix, graines, produits céréaliers, fruits, légumes. Si l’on ajoute des œufs et des produits laitiers à son menu, il n’y a vraiment aucun souci à se faire.
Remplacer les protéines animales: que manger alors?
Les possibilités n’ont pour limite que celle de votre imagination. Puisez vos protéines dans les haricots et les pois secs, les lentilles, les œufs, le soya et ses dérivés, les noix et les graines. Du côté céréalier, optez pour du riz, de l’avoine, du quinoa, du maïs, de l’orge, des pâtes, du pain et du couscous de blé entier. Ajoutez des légumes et des fruits pour la couleur et la saveur. C’est facile!
10 végé-suggestions
- Au lieu d’une soupe bœuf et orge: une soupe aux pois sans lard
- Au lieu des pâtes sauce bolognaise: des pâtes sauce tomate et cannellini (petits haricots blancs)
- Au lieu d’un pâté chinois traditionnel: un pâté chinois cuisiné avec le sans-viande haché vendu en épicerie
- Au lieu de bacon sur une salade: des noix de pin ou des graines de tournesol
- Au lieu d’une fajita au poulet: un burrito aux haricots rouges
- Au lieu d’un sandwich à la dinde: un sandwich pesto, tomate, bocconcinis
- Au lieu de rillettes ou cretons: de l’hummous ou du végépâté
- Au lieu d’un steak: un chili végétarien
- Au lieu d’un couscous merguez: un couscous aux légumes et aux pois chiches
- Au lieu d’un riz frit au poulet: un sauté de riz au tofu et aux légumes
Doit-on abandonner la boulette de bœuf haché et la pointe de pizza au pepperoni à tout jamais? Les experts de la santé en mangent-ils en cachette ou sont-ils tous devenus végétariens? La réponse est non, bien entendu, mais certaines consignes de prévention gagnent à être connues :
- Diminuer la fréquence de consommation de viande rouge de 1 à 3 fois par semaine.
- Limiter la grosseur de la portion à 85 g (3 oz), soit la taille d’une souris d’ordinateur.
- Accompagner la viande de généreuses portions de légumes.
- Acheter plus souvent des charcuteries sans nitrites.
- Consommer plus souvent des légumineuses, des œufs, du tofu, de la volaille et du poisson.