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Petit lexique du mangeur local

Locavore, terroiriste, circuits courts, souveraineté alimentaire… nombre de nouveaux termes reliés à un mouvement qui prend racine : l’impact de « manger local » sur différentes facettes de notre vie. Petit tour d’horizon pour mieux naviguer dans l’univers local sans perdre le nord.

Définitions : qu'est-ce que c'est ?

1. Locavorisme et locavore

Une autre tendance venue de la Californie ! Le mouvement locavore, fondé en 2005 à San Francisco, serait né d'un défi lancé aux gens de la célèbre baie : manger des aliments cultivés à 160 km (100 miles) ou moins de leur domicile durant un mois, puis le mois suivant... Ce défi s'est vite transformé en mode de vie dans cet État, et un peu partout ailleurs par la suite. L'expression anglaise même, locavore (prononcez à l'anglaise), a été choisie comme néologisme de l'année 2007 par le New Oxford American Dictionary.

Cette même année au Canada, un couple de Vancouver, Alisa Smith et James MacKinnon, publiait un livre qui allait susciter beaucoup d'intérêt médiatique : The 100-Mile Diet : A Year of Local Eating (Random House Canada, 2007). Ce best-seller raconte l'expérience qu'ils ont vécue, soit de se nourrir exclusivement, pendant 12 mois, d'aliments provenant d'un rayon de 100 miles (160 km) de leur appartement urbain, y compris tous les ingrédients présents dans les aliments achetés. Adieu café, sucre, épices, banane, vanille, thé, riz, huile d'olive et autres denrées lointaines ! Même le pain a dû être banni puisque blé et levure dépassaient les frontières permises…

2. Manger local

Tout le monde n'a pas la même définition de ce terme qui gagne en popularité. Certains consommateurs considèrent un fruit ou un légume comme « local » s'il provient de leur région immédiate ou à tout le moins de leur province. D'autres se référent plutôt à un nombre aléatoire de kilomètres parcourus (ex : 100-Mile Diet), au temps de transport des produits (moins de 24 heures) ou encore au nombre restreint d'intermédiaires (circuits courts de commercialisation) impliqués. L'Agence canadienne d'inspection des aliments vient d'entreprendre une initiative de modernisation de l'approche à l'égard de l'étiquetage des aliments. Le terme local est donc permis pour les aliments produits dans la province ou le territoire où ils sont vendus ou alors dans d'autres provinces ou territoires, dans un rayon de 50 km du lieu d'origine.

Peu importe le critère, manger local illustre surtout le choix qu'une personne fait par rapport à ses sources d'approvisionnement alimentaire, soit :

  • De consommer des aliments produits près de son milieu de vie (50 à 250 km de son domicile), ou encore qu'elle cultive elle-même.
  • De suivre le rythme des saisons. Donc, pas de tomates en janvier, sauf si on a fait nos propres conserves à l'automne ou qu'on achète des tomates de serre locales. Plusieurs personnes croient que cela relève de l'utopie. D'autres estiment qu'en faire un peu, c'est déjà beaucoup pour l'environnement, la santé et l'économie.

3. Terroirisme et terroiriste

Ce sont d'autres mots nouveaux pour parler d'une personne ou d'une cuisine locavore. Le terme terroiriste semble plutôt employé pour les adeptes des vins, notamment en Europe, qui les apprécient en fonction des terroirs d'où ils sont issus (vins du Languedoc, de la Bourgogne, etc.), plutôt que des cépages (chardonnay, sauvignon…). Au Québec, le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV) rappelle que la notion de terroir ne jouit d'aucune protection particulière. Ainsi, n'importe quel produit artisanal, local, régional, fermier ou traditionnel peut apposer le mot « terroir » sur son étiquette, sans égard à un territoire géographique donné, des conditions particulières ou un savoir-faire unique. Ce n'est pas parce qu'une confiture vient du Saguenay, par exemple, qu'elle possède les attributs du terroir saguenéen.

4. Les 3N-J

C'est un concept qui a été élaboré, voilà plus de dix ans, par Laure Waridel, écosociologue cofondatrice d'Équiterre, dans son livre L'Envers de l'assiette et quelques idées pour la remettre à l'endroit. Précurseurs du mot locavorisme avant même qu'il ne soit inventé, les 3N-J signifient Nu, Non loin, Naturel et Juste. Ainsi en faisant son marché, l'auteure parlait déjà de l'importance de choisir des aliments peu emballés (Nu), produits localement (Non loin), peu transformés (Naturel) et équitables (Juste).

5. Kilométrage alimentaire (food miles

Un chercheur suédois avait calculé il y a déjà 20 ans que les ingrédients qui composent un déjeuner typiquement scandinave – jus d'orange, fromage, pomme, pain, beurre, café, crème et sucre – avaient parcouru ensemble une distance équivalant au tour de la terre avant de se retrouver dans l'assiette.

C'est la distance que parcourt un aliment entre son lieu de production et son lieu de consommation. Plus un aliment aura parcouru de kilomètres jusqu'à notre assiette, plus son impact environnemental (émissions de carbone, gaz à effet de serre) et économique (main-d'œuvre, hausse du prix du carburant) sera grand. Certains prétendent que l'équation n'est pas si simple et qu'il arrive qu'un aliment voyageant par avion, mais produit de manière hautement écologique, ait une empreinte écologique moindre qu'un autre aliment produit localement sans égard aux normes environnementales. Cette réflexion, qui prouve que tout n'est pas noir ou blanc dans ce dossier, ne remet toutefois pas en doute l'importance du manger local.

Au Québec, les fruits et légumes consommés parcourent en moyenne entre 3500 et 5000 km, nous dit le MAPAQ. Une famille qui s'efforce d'acheter québécois réussit à diminuer pratiquement de moitié cette distance pour un total de 1000 à 2000 km.

6. Souveraineté alimentaire

Concrètement, c'est la possibilité pour un pays d'assurer son indépendance agroalimentaire en produisant suffisamment pour ses habitants, en fonction de conditions qu'il fixe lui-même (ex. : production locale, saine et écologique respectant les normes socioculturelles). La production n'est plus dirigée par un impératif commercial, mais plutôt par un impératif social (plus d'importations pour remplacer ce qui aura été exporté).

Au Québec, on remet au centre de l'assiette les produits cultivés par les fermiers d'ici. Ce faisant, on encourage la conservation du savoir-faire des gens d'ici, ancestral ou non, tout en diminuant la dépendance à l'égard des fournisseurs étrangers. En mai 2013, le gouvernement du Québec a déposé sa première politique en matière de souveraineté alimentaire. C'est un pas en avant, notamment pour accroître la proportion d'aliments d'ici dans l'assiette des Québécois. Une quinzaine d'organismes du bioalimentaire québécois se concerteront pour voir à sa mise en œuvre dans les mois à venir. Un dossier à suivre !

7. Écogastronomie

Respectueuse de l'environnement, cette pratique de la cuisine et de l'art de la table favorise les aliments sains, peu transformés, produits localement et dont l'impact sur la planète est réduit. Plusieurs restaurateurs à l'échelle du Québec sont de fervents adeptes de l'écogastronomie. On retrouve dans leurs assiettes le souci de prendre soin de la planète en valorisant notamment les produits de pêche durable, et d'agriculture biologique. L'organisme Tourisme Montréal a voulu faciliter la vie des visiteurs de la métropole en rajoutant récemment « Pratiques durables » à ses critères de recherche dans son répertoire de restaurants. Le répertoire compte actuellement 19 restaurants à Montréal. Ailleurs au Québec, d'autres établissements ont déjà mis en place de telles pratiques. Cette initiative sera sans doute appelée à prendre de l'ampleur au cours des prochaines années.

8. Gastronomades

L'agrotourisme ne date pas d'hier. Ce terme novateur attribué au prince des gastronomes Maurice Edmond Sailland, dit Curnonsky (né en 1872 !), désignait déjà au siècle dernier les touristes amateurs de spécialités régionales. De nos jours, les options pour satisfaire notre goût d'aventures gastronomiques foisonnent. Au Québec, on retrouve plus d'une vingtaine de circuits agrotouristiques. Ces promenades mènent autant sur la route des saveurs typiques de différentes régions du Québec que des produits de spécialité, comme les cidres, les vins, l'érable et les fromages fins. Pour dénicher une destination, consultez le site de Terroir et saveurs : terroiretsaveurs.com/routes-circuits.html. Envie de dépaysement ? Laissez-vous inspirer par ces quelques nutritionnistes gastronomades, des collègues gourmandes qui partagent avec enthousiasme leurs aventures pour les moins alléchantes : genevieveogleman.com, julieaube.com et catlefebvre.com.

Alors, on mange quoi et comment ?

Voici notre version des principes du mouvement locavore de San Francisco, remis au goût du jour et adaptés aux réalités saisonnières de notre belle province. En tête de liste : l'autoproduction, suivie des circuits courts, puis des circuits longs.

A. Autoproduction

Produisez vous-même vos aliments. Qu'il s'agisse de simples fines herbes sur votre balcon ou d'une production plus grande sur une parcelle de jardin communautaire ou dans votre cour. Produire soi-même est la façon la plus locale de manger. En ville, c'est ce qu'on appelle l'agriculture urbaine. En plus d'avoir accès à des fines herbes, à des légumes et à des fruits, l'agriculteur urbain, ou « urbainculteur », verdit et embellit son milieu de vie et a un impact positif sur l'environnement (réduction des îlots de chaleur, diminution des gaz à effet de serre, agriculture biologique bien souvent). Il prend aussi soin de sa santé par l'exercice physique et grâce aux fruits et légumes que lui procure le jardinage. L'agriculture urbaine peut se faire de différentes façons :

  1. Seul, en famille ou avec les voisins, chez soi, sur son terrain, son balcon, son escalier, sa terrasse, son toit, etc. Revoyez les judicieux conseils de Ricardo à l'émission qu'il a produite sur ce sujet : fermierurbain.radio-canada.ca
  2. Seul, en famille ou avec les voisins, sur une parcelle de jardin communautaire.
  3. En groupe, dans un jardin collectif où le travail (planification et entretien) se fait ensemble et où les récoltes sont partagées entre les jardiniers.
  4. En groupe, dans des espaces autrement inutilisés. Ces espaces peuvent se trouver dans des lieux publics ou privés, se faire de façon légale ou « illégale » (guerrilla gardening).
  5. Par l'entremise des Incroyables Comestibles, section francophone du projet « Incredible Edible » lancé en Angleterre en 2008 et repris à Westmount, puis à Montréal dans les arrondissements Rosemont–La-Petite-Patrie et Plateau-Mont-Royal, de même qu'à Saint-Élie-de-Caxton, Drummondville, Rimouski, Baie-Comeau... Ce projet d'agriculture urbaine consiste en une formule « nourriture à partager », où tout est produit sur des lieux publics et offert gratuitement à celui ou celle qui voudra bien récolter ! Visitez-les sur la page Facebook Incroyables Comestibles Montréal.

B. Circuits courts

Vous n'avez pas la main verte ? Optez pour des aliments produits localement. Les circuits courts placent le producteur, au plus, à un intermédiaire près du consommateur, ce qui lui permet notamment de vendre ses produits frais moins cher. Les produits offerts sont donc généralement locaux (ouvrez tout de même l'œil, car certains kiosques offrent des oranges et des kiwis, qui ne proviennent sûrement pas de leur ferme…). Si vous souhaitez vous procurer des aliments biologiques, informez-vous auprès du fournisseur. Plusieurs options s'offrent à vous pour mettre la main sur des aliments produits localement :

  1. Kiosques à la ferme : Profitez d'une promenade pour découvrir les producteurs du Québec. Ils se feront un plaisir de partager avec vous le fruit de leur travail.
  2. Autocueillette : Gardez l'œil ouvert pour repérer les affiches d'autocueillette, une activité prisée par les enfants. Des fraises aux citrouilles en passant par les pommes et les prunes, vous pourrez remplir votre petit ou gros panier de fruits et légumes de toutes sortes.
  3. Paniers avec abonnement, de type Agriculture soutenue par la communauté (ASC) : Dans cette forme d'alimentation, les consommateurs soutiennent les fermiers du Québec qui font de l'agriculture biologique en payant d'avance les légumes et les fruits que les fermiers produiront durant l'été. Les fermiers peuvent ainsi planifier leur saison de production sans s'endetter. Le partage des risques (insectes ravageurs, intempéries…) ou des chances (fastes récoltes) se fait entre les consommateurs et les fermiers. Comme les fermiers d'ASC cultivent une grande variété de légumes et de fruits, souvent selon différentes techniques (cultures extérieures, en serre…), l'impact des risques ne touche pas toute la production des fermiers. Autrement dit, peut-être aurez-vous moins de laitue et plus de poivrons un été, alors que, l'été suivant, les choux seront à l'honneur, mais moins les aubergines… Par ailleurs, certains offrent aussi des paniers d'hiver.
  4. Paniers sans abonnement : Bonne boîte, bonne bouffe est un regroupement d'achats qui s'approvisionne en grande quantité en produits maraîchers frais à juste prix et qui les distribue à faible coût dans les collectivités à différents points de chute. Fonctionne toute l'année. Commande de boîtes de fruits et légumes toutes les deux semaines. Les boîtes sont vendues à prix fixe, sans abonnement, et elles contiennent une variété de fruits et de légumes de première qualité. bonneboitebonnebouffe.org
  5. Marchés virtuels (généralement bios et québécois) : Sites Web où l'on peut commander soit des paniers de produits prédéterminés, soit des aliments à la carte, qui sont livrés à une fréquence déterminée par le fournisseur.
  6. Marchés publics : Le marché du Vieux-Port de Québec, le marché Jean-Talon de Montréal ou le marché public de la gare de Sherbrooke : de plus en plus de régions ont leur marché public, ouvert toute l'année ou seulement pendant la période des récoltes. La liste sur le site de l'Association des marchés publics du Québec : ampq.ca
  7. Petits commerces de quartier : Boulangerie ou pâtisserie artisanale, fromagerie, boucherie, poissonnerie, microbrasserie…

C. Circuits longs

Lieux visités : épiceries, supermarchés, grandes surfaces, magasins-entrepôts. Le plus souvent possible, privilégier ses achats locaux selon l'arbre décisionnel suivant, librement inspiré de celui de l'organisme Locavore :

  1. Local et bio: Idéalement, recherchez en premier lieu les aliments locaux et bios, dans votre lieu d'achat favori.
  2. Local: La deuxième option consiste à choisir des aliments locaux, non bios. En d'autres mots, il est préférable d'acheter une pomme du Québec de culture traditionnelle plutôt qu'une pomme biologique provenant de l'État de Washington, par exemple. Même si on voit de plus en plus de produits d'ici au supermarché, n'hésitez pas à demander à votre épicier d'en offrir d'autres. De grandes chaînes, comme IGA, déploient des efforts pour donner de la visibilité aux produits de chez nous. Métro a même mis sur pied sa propre politique d'achat local au printemps dernier.
  3. Bio: Si l'aliment n'est pas produit localement, comme certains fruits ou denrées, achetez-le biologique. Autrefois rares, les aliments bios ont maintenant leur place dans les marchés et commerces. Choisir des aliments biologiques contribue à protéger l'environnement, en plus de réduire votre exposition aux résidus de pesticides.
  4. Produits internationaux du terroir: Si vous optez pour un aliment étranger, allez-y pour les produits du terroir. Achetez les aliments reconnus selon leur région d'origine afin d'encourager l'agriculture qui produit vos aliments « non locaux » favoris, par exemple : huile d'olive extra vierge de Kalamata, en Grèce, fromage bleu de Roquefort, en France, ou fromage Parmigiano Reggiano de Parme, en Italie. Vous encouragez ainsi le locavorisme à distance !

    Certains aliments de base, comme le café ou le sucre, n'étant évidemment pas produits ici, procurez-les-vous dans un café ou un magasin de votre quartier pour réinvestir votre dollar dans l'économie locale. Que vous les achetiez dans un petit commerce ou une grande surface, choisissez-les équitables parce que ce geste a vraiment un impact pour les producteurs, leurs familles et leur communauté.

En conclusion, Souvenez-vous toujours qu'acheter, c'est voter et que votre geste d'achat va bien au-delà de la simple consommation.

Hélène Laurendeau

Passionnée d’alimentation, de santé et de voyages gourmands, Hélène adore partager ses trouvailles avec le grand public. Diplômée en nutrition (Université de Montréal) et en épidémiologie (McGill), elle est active dans les médias depuis plus de 25 ans. À la télévision, elle fait équipe avec Ricardo depuis 2005 pour vulgariser ses connaissances avec la bonne humeur qu’on lui connaît. À la radio, Hélène collabore aussi chaque jeudi à l’émission Bien dans son assiette (Ici Radio-Canada Première). On peut également la lire dans le magazine Ricardo. Pour suivre Hélène sur les réseaux sociaux :
Twitter : @Hlne_Laurendeau
Facebook : Hélène Laurendeau Nutritionniste

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