Pour mieux comprendre la magie derrière une fondue au fromage, il faut commencer par le commencement : la fabrication même du fromage.
Du lait au fromage
Le lait contient deux familles de protéines : les caséines, qui, de concert avec les matières grasses, donnent une couleur blanchâtre au lait, et les protéines du lactosérum. Les fromages contiennent surtout des caséines. Les caséines sont présentes dans le lait sous forme de micelles microscopiques. Chaque micelle est constituée de différents types de protéines enroulées ensemble avec du calcium et du phosphate. Les micelles sont toutes chargées négativement et donc se repoussent mutuellement. Pour arriver à les rapprocher les unes des autres, pour les faire cailler, on doit déstabiliser le lait en ajoutant des acides et des enzymes.
Pour fabriquer du fromage, le lait est d’abord légèrement acidifié par l’action de bactéries lactiques (celles-ci transforment le lactose du lait en acide lactique) puis il est additionné d’une préparation d’enzyme (la présure). Les enzymes de la présure jouent un rôle clé dans la fabrication fromagère : elles s’attaquent à une région bien précise des micelles de caséine et les dépouillent d’une partie de leur structure. En conséquence, les micelles ne se repoussent plus. Elles s’attachent alors ensemble par des « ponts de calcium » et forment un caillot qui renferme encore les matières grasses et le lactosérum du lait. Pour raffermir le caillot, celui-ci est coupé et égoutté pour soustraire le lactosérum, puis pressé pour former l’éventuel fromage.
De solide à liquide
Lorsqu’on prépare une fondue au fromage, l’objectif est de défaire les caillots de protéines, c’est-à-dire de permettre aux micelles de caséines de se détacher les unes des autres et de se répartir dans le vin pour former une préparation lisse et onctueuse. Le défi est grand, car les ponts de calcium qui les relient ensemble sont forts. De plus, si la chaleur est trop intense, les protéines peuvent coaguler, c’est-à-dire se resserrer les unes contre les autres pour former une masse élastique. Pour arriver au résultat souhaité, il faut un peu plus que la bonne dose de chaleur et un bon coup de fouet ! Il faut aussi un peu de chimie. En effet, on doit trouver un moyen chimique pour défaire les ponts de calcium.
La chimie de la fondue
Heureusement, l’un des ingrédients de base de la fondue au fromage, le vin, contient tout ce qu’il faut pour défaire les protéines du fromage et qu’elles se mélangent parfaitement au vin pour former une préparation homogène.
On trouve dans le vin :
- Des sels minéraux tels que l’acide tartrique (ou bitartrate de potassium). Ces molécules jouent un rôle essentiel dans la « fonte » des fromages : elles cassent les ponts de calcium qui relient les protéines entre elles, leur permettant de se répartir dans le vin
- Des acides, qui secondent les sels minéraux dans leur rôle de démolisseurs de ponts de calcium
- De l’eau, qui sert à hydrater et à diluer les protéines une fois qu’elles sont dispersées
- De l’alcool, qui permet de dissoudre une partie des matières grasses du fromage.
Pour toutes ces raisons, il est nettement plus facile de faire fondre un fromage dans du vin que dans de l’eau. Et c’est bien meilleur au goût ! D’ailleurs, le vin blanc sec et acide, le type de vin le plus souvent utilisé comme base pour la fondue au fromage, contient plus d’acide tartrique qui aide à faire fondre les fromages.
Les fondues suisses en sachet, prêtes à manger, de type « réchauffer et servir », sont quasi infaillibles. Leur secret ? Les fabricants font chauffer les fromages en présence d’additifs appelés « sels de fonte », comme le phosphate ou le citrate de sodium. Ces derniers s’attachent au calcium et brisent les ponts qui lient les protéines du fromage entre elles. Du coup, les protéines deviennent beaucoup plus solubles et se dispersent parfaitement dans le vin. Dans une fondue maison, ces additifs sont remplacés par les sels minéraux naturellement présents dans le vin.
Que boire avec une fondue : thé ou vin ?
Un vieil adage dit que le vin aide à la digestion du fromage. Un autre préconise plutôt la consommation d’une boisson chaude, comme le thé, pour empêcher le fromage de « durcir » dans l’estomac. Qui dit vrai ? Pour mettre fin à la controverse, des chercheurs suisses (pas étonnant !) de l’Hôpital universitaire de Zurich ont joyeusement, mais sérieusement, prêté leurs corps à la science et publié le fruit de leurs efforts dans le British Medical Journal. L’expérience consistait à comparer les effets du vin blanc ou du thé noir sur la vitesse de la vidange gastrique. Les volontaires ont mangé chacun 200 g de fondue suisse (50 % gruyère, 50 % Fribourgeois) dans laquelle les chercheurs ont ajouté du carbone 13, une molécule inoffensive qui permet de suivre la vitesse de digestion. La moitié des participants buvait 300 ml de vin blanc (un Fendant du Valais bien entendu !) et l’autre du thé noir. Tous les quarts d’heure, on effectua un test d’haleine permettant de détecter le carbone 13. Le résultat ? L’estomac se vide beaucoup plus rapidement lorsque la fondue est accompagnée de thé ! Voilà une bonne (ou mauvaise) nouvelle pour ceux et celles qui se plaignent d’avoir une boule dans l’estomac après un repas de fondue savoyarde !
Récupérer une fondue
Votre fondue est granuleuse ou le fromage forme une masse compacte non liée ? Voici comment sauver votre repas du désastre.
Délayer 30 ml (2 c. à soupe) de fécule de maïs dans 45 ml (3 c. à soupe) de vin. Porter à ébullition à feu moyen en remuant sans arrêt. Ajouter peu à peu cette préparation de fécule à votre fondue séparée, en remuant. Il vous en faudra plus ou moins selon la quantité de fondue à récupérer. La fécule épaissira le vin qui s’est séparé et aidera à l’incorporer au fromage. Continuer de mélanger jusqu’à ce que la fondue redevienne homogène.
Formule de base pour une fondue au fromage réussie
Pour chaque portion, il vous faut :
- 150 g de fromage râpé (Utiliser des fromages qui sont vieillis (gruyère, emmental, vacherin, tomme, comté, vieux cheddar…). Durant l’affinage, les protéines sont dégradées et deviennent plus solubles.)
- 5 ml (1 c. à thé) de fécule de maïs ou de farine (Ne pas oublier la farine ou la fécule : elles sont votre assurance anti-séparation ! La préparation de fondue peut même bouillir sans danger qu’elle se sépare.)
- 75 ml de vin blanc sec
- 2 ml (1/2 c. à thé) de jus de citron (facultatif) (L’ajout de jus de citron est une police d’assurance supplémentaire, en plus du vin, pour s’assurer que le fromage se défera bien. L’acide citrique qu’il contient aide à défaire les protéines du fromage.)
Dans une casserole ou un caquelon hors du feu, mélanger le fromage et la fécule de maïs. Ajouter le reste des ingrédients et chauffer à feu moyen en remuant sans arrêt, jusqu’à ce que la préparation soit lisse et onctueuse. Transférer sur le réchaud et maintenir au chaud. (Si la fondue est trop épaisse, ajouter graduellement un peu de vin supplémentaire. Si, au contraire, elle est trop liquide, ajouter davantage de fromage râpé.)
Une fondue lisse
Il arrive parfois que le fromage refuse de se mélanger au vin. En fondant, il forme plutôt une masse molle et élastique qui nage dans un liquide laiteux. On a beau fouetter, les deux parties ne se mélangent pas de manière homogène. La même chose peut se produire durant la dégustation de la fondue : une masse de fromage se dépose au fond du caquelon, alors qu’un liquide blanchâtre flotte en surface. Pour prévenir ce problème, il suffit d’inclure de la farine ou de la fécule de maïs dans la recette de fondue (voir notre formule de base ci-contre et notre recette p. 29). Pourquoi ? L’amidon contenu dans la farine ou la fécule est une assurance contre la prise en masse du fromage. En effet, au contact d’un liquide chaud (en l’occurrence, le vin), les grains d’amidon gonflent et se faufilent entre les protéines du fromage, les empêchant de coaguler. L’amidon empêche aussi le vin de se séparer du fromage, une fois fondu. Si la fondue se sépare en cours de préparation ou de dégustation, il est possible de la récupérer en y ajoutant de la fécule.