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Aliments fermentés: des cadeaux microscopiques

Ces jours-ci, la cote de popularité des aliments fermentés est à la hausse. Ceux-ci font pourtant partie de l'alimentation humaine depuis des lustres! Notre collaborateur, Bernard Lavallée, dit pourquoi tant de générations avant vous ont décidé de les inclure au menu et pourquoi vous devriez les imiter.

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Quand j’étais adolescent, j’avais une amie très à la mode qui s’habillait souvent avec les vieux vêtements de sa grand-mère. Elle me disait que toutes les modes finissent par revenir à un moment ou à un autre. En alimentation, ce phénomène est aussi fréquent. Des méthodes ancestrales refont soudainement surface et jouissent d’un petit « cool factor ». Aujourd’hui, c’est au tour de la fermentation. Cette nouvelle vague de popularité est portée par des découvertes scientifiques prometteuses liant notre santé aux micro-organismes retrouvés dans ces aliments et dans notre tube digestif.

Utilisée depuis des milliers d’années, cette technique de conservation fait vraisemblablement partie de l’histoire de l’humanité. Imaginons nous un instant dans l’incapacité, par exemple, de refroidir nos denrées périssables. En très peu de temps, des bactéries et des levures s’y installeraient et les transformeraient, modifiant non seulement leur apparence, mais aussi leur texture, leur odeur et leur goût. Nul doute que ces changements ont intrigué les civilisations qui nous ont précédés. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant qu’elles aient à peu près toutes « découvert » la fermentation à un moment ou à un autre de leur histoire. Les aliments issus de cette transformation se sont ainsi taillé une place de choix au sein de très nombreuses cultures et sur à peu près tous les continents. Pensons au kimchi des Coréens, au miso des Japonais ou bien au yogourt et à la choucroute des Européens.

Le plus beau dans tout cela, c’est que la plus grosse part de travail dans ce processus, ce n’est pas nous qui l’accomplissons. Une fois les ingrédients assemblés, ce sont les micro-organismes qui prennent le relais. Ainsi, en échange de nourriture, généralement du sucre, ils transforment les aliments pour nous.

Domestiquer l’invisible

Pendant longtemps, la fermentation s’est avérée essentielle pour prolonger la durée de vie des aliments. Prenons l’exemple du yogourt, composé de lait fermenté par certaines souches de bactéries. En se nourrissant du sucre naturellement présent dans le lait, ces dernières génèrent de l’acide lactique. C’est un procédé qu’on appelle la lactofermentation. Tous les aliments fermentés par des bactéries produisant de l’acide lactique, comme la choucroute, le babeurre, le kéfir et le kimchi, sont ainsi lactofermentés. Ce faisant, elles abaissent le pH du produit. Dans le cas qui nous intéresse, cette modification soudaine de l’environnement rend ce « lait acidifié » beaucoup moins intéressant pour plusieurs micro-organismes, qui préfèrent plutôt un milieu neutre. C’est une première barrière contre certains d’entre eux, potentiellement dangereux pour la santé humaine. Si d’autres tentent tout de même de s’y installer, les bactéries qui y ont élu domicile défendront leur « maison » contre les envahisseurs. C’est pour cette raison que le yogourt possède une durée de vie beaucoup plus longue qu’un litre de lait qui, lui, constitue un milieu beaucoup plus hospitalier pour les bactéries environnantes.

Mais la fermentation n’est pas qu’une technique de transformation alimentaire purement utilitaire. Rapidement, on s’est rendu compte que nos papilles gustatives pouvaient elles aussi en profiter. Comme nous l’avons expliqué, en produisent un agréable goût acidulé et parfois vinaigré. C’est notamment le cas de la choucroute ou de certains types de cornichons. Un autre phénomène qui bonifie la saveur des aliments est lié à la création de molécules par les bactéries et les levures. Dans le fromage, par exemple, où les micro-organismes vont transformer des nutriments, comme les protéines ou les lipides, en de plus petits composés. Ces derniers sont perçus par notre langue ou notre nez, créant ainsi de nouvelles saveurs et de nouveaux goûts. En outre, ces micro-organismes entraînent parfois des changements physiques. Notamment, ce sont eux qui sont responsables de l’effervescence du kombucha, une boisson à base de thé sucré fermenté. Et n’oublions pas un type de fermentation qui a particulièrement séduit l’humanité depuis sa découverte, dite « alcoolique ». Eh oui, c’est grâce au travail de certains micro-organismes que les glucides de céréales, de fruits ou de légumes peuvent être transformés, comme son nom l’indique, en alcool.

Fermentation maison

Faire son kombucha ou son kimchi chez soi est plus simple qu’on le croit, peu coûteux et franchement amusant. C’est du moins ce que je retiens de ma propre expérience! Souvent, les bactéries et levures déjà présentes sur l’aliment sont suffisantes pour enclencher la fermentation, comme dans le cas des légumes (qui peuvent d’ailleurs pratiquement tous être lactofermentés). Parfois, dans le cas du kombucha notamment, il faut absolument une souche « mère » pour lancer le processus. Celles-ci se trouvent maintenant dans la plupart des magasins d’aliments naturels. Par contre, avant de sortir votre portefeuille, lancez un appel à tous dans votre entourage. Il suffit souvent d’un petit échantillon de culture pour pouvoir en produire vous-même.

Un monde à explorer

Les bénéfices de la fermentation ne s’arrêtent pas à l’expérience gustative qu’elle procure. Celle-ci modifie également la valeur nutritive des aliments, puisque les levures et les bactéries sont capables de produire des vitamines. Quelques ingrédients fermentés, comme les légumes et les produits laitiers, seraient d’ailleurs plus riches en certaines vitamines du complexe B, si on les compare à leur version crue ou non transformée. Et comme ils commencent la digestion des aliments pour nous, les micro-organismes peuvent même faciliter l’absorption de certains nutriments, comme le fer, le calcium ou la vitamine D. Malgré tout, il est encore très ardu, voire impossible, de tirer des conclusions générales au sujet des aliments fermentés. Même s’ils existent depuis longtemps, la science ne fait que commencer à s’y intéresser et il faudra probablement patienter longtemps avant d’avoir plus de réponses sur leurs bienfaits.

Quand on lit un peu sur la nutrition, on a tôt fait de remarquer que les chercheurs ont développé, dans les dernières années, une véritable obsession pour les micro-organismes, dont ceux vivant au creux de notre ventre, le fameux microbiote. En effet, de nombreuses découvertes récentes indiquent qu’il existe un lien fort entre eux et la santé. Par exemple, on sait qu’une grande diversité de bactéries au sein du tube digestif est associée à des risques moins élevés de maladies cardiovasculaires, de diabète de type 2 et d’obésité.

Lorsqu’on ingère des aliments fermentés, on avale en même temps une grande quantité de bactéries et de levures vivantes. Certains prétendent que, de cette manière, nous pouvons améliorer la diversité de notre microbiote. En fait, plusieurs de ces bactéries et levures vivantes ne survivent pas à la digestion et ne se rendent donc même pas jusqu’à l’intestin pour pouvoir s’y installer. Celles qui y arrivent ne sont que de passage et il est encore difficile de savoir dans quelle mesure elles ont une incidence sur la santé.

Le petit bémol des produits industriels

La fermentation transforme minimalement les aliments, mais quand l’industrie s’empare d’une tendance, il y a des risques de dérapages. Pensons aux infinies déclinaisons de yogourts. À la base, ce lait fermenté est très intéressant pour la santé, mais il l’est beaucoup moins quand on lui ajoute des colorants, des saveurs artificielles, des édulcorants de synthèse ou de grandes quantités de sucre.

Voilà une conclusion qui peut paraître décevante, mais cela démontre au contraire qu’un monde nouveau attend les chercheurs qui s’attaqueront à ce sujet. De notre côté, n’attendons pas pour les intégrer à notre assiette! Il existe peu de constantes en nutrition, mais une règle qui semble avoir fait ses preuves avec le temps est que la diversité alimentaire est notre meilleur gage de santé. Plus on mange d’aliments différents, crus ou transformés minimalement par des techniques comme la fermentation, plus on met les chances de notre côté de profiter de leurs bienfaits. Et le plus beau dans tout cela, c’est que les aliments fermentés nous offrent bien plus. Nous avons ainsi tout à gagner à découvrir les saveurs atypiques concoctées par ces armées invisibles, comme des millions d’êtres humains l’ont fait avant nous.

Bernard Lavallée

Notre collaborateur Bernard Lavallée est nutritionniste et membre de l'Ordre professionnel des nutritionnistes du Québec. Il est l'auteur des livres Sauver la planète une bouchée à la fois et N'avalez pas tout ce qu'on vous dit, parus aux Éditions La Presse. Il collabore à divers médias et alimente de façon régulière son blogue. Bernard vulgarise pour nous les découvertes scientifiques en matière de nutrition. Photo : Katya Konioukhova.

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